Billet culturel : Été 85, la chaleur des sentiments

« Tu crois qu’on invente les gens qu’on aime ? »

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Été 85 est un film français écrit et réalisé par François Ozon, sorti le 14 juillet 2020. C’est une adaptation du roman La Danse du coucou d’Aidan Chambers. Suite à l’annulation du Festival de Cannes cette année, à cause du Covid-19, le film a reçu le Label du Festival de Cannes.

Pendant l’été 1985, à Le Tréport en Normandie, Alexis, 16 ans, interprété par Félix Lefebvre, fait une sortie en mer des plus agitées. Il est sauvé de la noyade par David, 18 ans interprété par Benjamin Voisin. Une histoire d’amour entre les deux jeunes hommes va se créer rapidement.

Avec un montage parallèle alternant entre passé et présent, Ozon guide l’avancée du scénario et pose d’entrée de jeu les enjeux. En effet, Alex, narrateur de son propre malheur, interpelle le spectateur, celui ci est prévenu, il est question d’amour et de cadavre, et il faut être prêt à « vivre » l’histoire.

Inspiration 

La danse du coucou, publié en 1982 a marqué l’adolescence de François Ozon, lorsqu’il avait 17 ans. L’histoire est celle de deux garçons anglais amoureux.  C’est une des premières œuvres qui dépeint l’homosexualité, non pas comme le sujet principal, douloureux et malsain, mais d’une façon positive. Ils se jurent tous deux de danser sur la tombe du premier qui mourra. L’un deux en devient malade et quand il le fait, se fait arrêter. Il doit alors comparaître devant un juge. Ils racontent par la suite son histoire d’amour avec le jeune homme. Été 85 en a fait une adaptation plutôt fidèle. Pour Ozon, c’est comme un premier film, un premier projet réfléchi et pensé il y a de ça des années, qui a enfin acquis la maturité pour voir le jour.

Le teen movie revisité

François Ozon nous donne à voir un teen movie quelque peu revisité. En effet, il met en avant la naissance des sentiments amoureux qui est un thème central dans ce genre de films. Il reprend ces codes, en appuyant par exemple sur les images d’Épinal du couple, traversant les routes en Normandie, sur une moto, les cheveux aux vents, mais aussi avec la reprise d’une scène culte de La Boum et du walkman, qui est intégré très justement au film.

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Le teen movie peut s’apparenter à un film sur le passage à la vie d’adulte, où l’adolescence est en quelque sorte un rite de passage et une période cruciale dans la construction de l’existence. Et c’est aussi le sujet d’Été 85. Il aborde le thème de l’identité, de l’altérité et de la sociabilité. Alexis est fasciné par la mort et issu de la classe ouvrière.  David a repris avec sa mère l’entreprise familiale. David représente l’aisance, le charme, la vitesse, l’euphorie, effronté, tout ce qu’Alexis n’est pas.

Toutefois, il se distingue fortement des teen movie que nous avons l’habitude de voir. Il se transforme rapidement en un mélodrame un peu douloureux. C’est une histoire qui mêle le deuil, le passage à l’âge adulte et les premiers sentiments amoureux. Il y a le deuil du père, mais il y aussi et surtout le deuil de l’être aimé, ce qui lui donne une véritable singularité en tant que teen movie. Il y a ce destin inévitable, connu du spectateur dès les premiers moments du film, lui donnant des airs d’enquête policière. Dans nos fauteuils rouges, nous imaginons le pourquoi du comment, et nous passons nous même par une aventure initiatique, essayant de comprendre comment cet amour peut se finir en tombe et ce qui est beau c’est que nous faisons ce voyage, en même temps qu’Alex.

Une atmosphère estivale et nostalgique des années 80

Été 85 fait la promesse d’un voyage dans le temps dans les années 80. Filmé au format 16 mm et non au numérique, permet la capture des images cinématographiques sur une pellicule granuleuse et ne donne pas l’image lisse à laquelle nous sommes habitués aujourd’hui. Le style vestimentaire relève également haut la main le défi, avec des habits « rétros » et typiques des années 80, qui subliment la fameuse coupe mulet de David.  Au second plan, le cadre est aussi respecté avec la présence de minitel, de machine à écrire, de cabines téléphoniques… La panoplie vintage est présenté à l’écran, comme une page Pinterest des années 1980, conjuguant la fête foraine, les blousons dignes de Grease, et les bandanas.

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Ozon excelle dans son objectif de saisir l’insouciance de l’été,  l’intimité des corps, la chaleur, et les sentiments. L’atmosphère du film est si bien traitée. Les deux jeunes garçons sont filmés avec une grande tendresse et douceur par des scènes qui nous données dans une grande intimité. La beauté des corps est mise en avant. Il y a ce jeu de la sexualité adolescente sur le point d’être découverte qui est très justement traduite à l’écran.

L’amour, sans orientation

Si l’homosexualité est montrée comme une sexualité taboue, qu’il faut cacher à ses proches, idéologie qui résonne avec l’époque de l’histoire, ce n’est pas le sujet du film.

C’est un film d’amour, d’été, qui dépeint la réalité des relations. C’est intemporel. Deux garçons qui s’aiment, différemment, mais qui s’aiment. L’un préfère la frivolité de l’amour d’été, l’autre y croyait pour toujours. Peu importe l’orientation de cette amour adolescent, hétérosexuel ou homosexuel ici ce n’est pas ce qui est pertinent. C’est la différence de l’appréhension de l’amour, de la relation et d’autrui qui est le drame de l’amour adolescent. La grande passion ou la frivolité. Cette représentation de l’amour entre deux hommes est importante. On nous montre enfin une histoire d’amour homosexuelle qui n’est pas à propos de cette homosexualité, mais simplement de leur relation et de leur histoire.

Le film tourne autour de la force du premier amour, de la découverte des sentiments, de la jalousie qui naît,  puis de la solitude. Le spectateur est happé par la suite des choses, dans une spirale dont on connait le dénouement, sans pourtant vouloir l’accepter, jusqu’à ce que le personnage principal lui même l’accepte, et se reconstruise, comme à la fin de chaque histoire d’amour.

J’en suis ressortie non pas bouleversée mais réellement touchée par la réalité de ce film. Les premiers émois amoureux. La naïveté. La douleur. Le côté estival du film se transfigure dans le drame et dans une sorte de romantisme absolu, ce romantisme qu’on a tous à l’adolescence, avec notre premier amour. La question raisonne avec l’expérience de chacun et chacune : est-ce qu’on invente les gens qu’on aime ?

 

 

 

 

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